La pauvreté, cause et conséquence de violations de droits humains
  
		La précarité économique dans laquelle un nombre de plus en plus important d'entre nous se trouve compromet le droit à la sécurité sociale et nuit à l'exercice de l'ensemble des droits humains.
Visant à faire connaître, à défendre et à promouvoir l'universalité, l'indivisibilité et l'interdépendance des droits humains, la Ligue des droits et libertés (LDL) s'appuie de façon constante sur la Charte internationale des droits de l'Homme (aussi appelée Charte internationale), composée de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (DUDH), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
Ces instruments abordent la pauvreté sous l'angle du droit, bien que le terme « pauvreté » lui-même n'y soit pas utilisé. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'Organisation des Nations Unies (CDESC) définit la pauvreté comme le fait de « ne pas avoir les moyens de base pour vivre dans la dignité ». Ainsi, les États qui ont adhéré à la Charte internationale, dont le Canada et le Québec, reconnaissent que l'être humain doit être libéré de la misère.
Pour atteindre cet objectif, les trois instruments qui constituent la Charte internationale des droits de l'Homme interdisent la discrimination fondée sur la fortune dans l'exercice des droits et libertés. En outre, la DUDH et le PIDESC ainsi que certains traités thématiques prévoient le droit à la sécurité sociale.
Droit à la sécurité sociale
Pour le CDESC, le droit à la sécurité sociale, qui implique l'accès à des prestations en espèce ou en nature, garantit entre autres une protection contre la perte de revenu, le coût démesuré de l'accès aux soins de santé ou l'insuffisance des prestations familiales. « [P]ar sa fonction redistributrice, le droit à la sécurité sociale joue un rôle important dans la réduction et l'atténuation de la pauvreté en évitant l'exclusion sociale et en favorisation l'insertion sociale. » En vertu du PIDESC, les États doivent en garantir la réalisation progressive, impliquant l'obligation d'agir au maximum des ressources disponibles afin de mettre en œuvre des politiques publiques prévenant et redressant les inégalités sociales et économiques. Les États ont par ailleurs l'obligation immédiate de s'assurer que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination.
Cela étant, la sécurité sociale n'est pas le seul droit que la pauvreté compromet : au contraire.
Tous les droits humains
De fait, la précarité économique dans laquelle un nombre de plus en plus important d'entre nous se retrouve affecte la capacité à réaliser l'ensemble des droits humains. Le CDESC se dit convaincu que « la pauvreté constitue un déni des droits de l'Homme ». Il indique :
« Dans la perspective de la Charte internationale des droits de l'homme, la pauvreté peut être définie comme étant la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé de manière durable ou chronique des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité et du pouvoir nécessaire pour jouir d'un niveau de vie suffisant et d'autres droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. Tout en reconnaissant qu'il n'existe pas de définition universellement acceptée, le [CDESC] fait sienne cette conception multidimensionnelle de la pauvreté, qui reflète l'indivisibilité de tous les droits de l'homme. »
D'une part, la pauvreté entretient un lien étroit avec la discrimination : elle peut en être aussi bien la source que la conséquence. D'autre part, le rapport entre la pauvreté et les obstacles à l'exercice d'autres droits, comme les droits à l'alimentation saine, au logement décent, à l'éducation et à la santé, par exemple, est manifeste. La pauvreté peut ainsi être conçue à la fois comme une cause et une conséquence de la violation de multiples droits, par ailleurs interdépendants. Ainsi, la lutte à la pauvreté exigera la mise en œuvre de différentes mesures ayant une portée sur un ensemble de droits.
La Charte des droits et libertés de la personne
Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, largement inspirée du droit international, interdit la discrimination sur la base de la condition sociale dans l'exercice d'autres droits et libertés. Elle garantit également certains droits économiques et sociaux, comme le droit à l'instruction publique gratuite, le droit à des mesures financières et à des mesures sociales ainsi que le droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent la santé, la sécurité et l'intégrité physique. Ces droits ne bénéficient cependant pas de la préséance sur les autres dispositions législatives qui est accordée à certains droits et libertés garantis par la CDLP. Ceci a pour effet d'en limiter la portée juridique et, par conséquent, les recours judiciaires visant l'examen de législations ou de diverses mesures qui seraient porteuses de violations de ces droits. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui a notamment comme mandat d'assurer la promotion et le respect des principes contenus dans la CDLP, recommandait pourtant, dans son bilan des 25 ans de la Charte, que la préséance soit étendue à ces droits, ce qui offrirait une voie de lutte contre la pauvreté.
Fiscalité au potentiel discriminatoire
Par ailleurs, la LDL a récemment examiné la portée de diverses mesures fiscales visant à suppléer à l'insuffisance du revenu par des crédits d'impôt plutôt que par une bonification des prestations sociales ou des salaires. Examinées sous l'angle du droit à la protection sociale tel que reconnu dans le PIDESC, cette fiscalisation du social présente un lourd potentiel de discrimination et soulève notamment des enjeux de protection de la vie privée et d'accès à la justice.
Ainsi, le fait d'aborder la pauvreté en tenant compte du cadre normatif relatif aux droits humains contribuerait à garantir que des éléments essentiels de lutte à la pauvreté, comme le principe de non-discrimination, la participation de la population aux prises de décision ainsi que l'interdépendance et l'indivisibilité avec les autres droits, reçoivent toute l'attention qu'ils méritent. La lutte s'en trouverait renforcée et potentiellement plus efficace.
Marie Carpentier est avocate et membre de la Ligue des droits et libertés.
Illustration : Anne Archet